Tout récemment Christophe a transmis à Olivier le cep de Rasteau que nous connaissons tous, dont le détenteur est réputé Maître de Chai. Ce transfert, prévu depuis longtemps ne nous a pas vraiment surpris.
Mais tout de même, cet événement majeur est survenu plus tôt que nous ne l'avions imaginé. Pourquoi?
Nous avons tous en mémoire le discours émouvant prononcé par Christophe lors de notre dernière AG. Relisez-le ici.
Une petite phrase, toutefois, est passée inaperçue: "Cela me donnera aussi peut-être encore plus de temps pour d’autres projets ou d’autres fonctions à Villers-la-Vigne et ailleurs".
Intrigué, je me suis enquis auprès de lui sur la signification ce propos énigmatique. Sa réponse fut éclairante, et il m'a finalement autorisé à la divulguer. Vous allez comprendre.
En 2008, à proximité des Iles Aland, en mer Baltique, on retrouva une épave échouée par 60 mètres de fond depuis la fin du XVIIIème siècle. Dans ses flancs, 30 bouteilles de champagne Veuve Cliquot produites entre 1782 et 1785, le champagne le plus vieux recensé à ce jour.
Un dégustateur suédois, Carl-Jan Granqvist, put le goûter et le trouva « doté d’arômes de tabac et de chêne, doux comme le voulait le goût de l’époque mais ayant conservé son acidité ”, ajoutant: “ le milieu du bouchon est resté sec, le vin a encore son fruit, de la fraîcheur, il se tient parfaitement: c’est fantastique ! ” La mer avait préservé ses qualités essentielles pendant plus de deux siècles.
Dix ans auparavant, en 1998, on retrouvait l'épave d'un cargo suédois, le Jőngkőping, torpillé par un sous-marin allemand en 1916, et qui transportait 3000 bouteilles de Heidsieck & Co Monopole 1907 destinées à la cour du Tsar Nicolas II. Après ce séjour de 82 ans par des températures avoisinant 3 ou 4°C, 2400 d'entre elles étaient dans un parfait état de conservation.
D'autres cas existent, et nous ne saurions les énumérer tous. Mentionnons néanmoins le plus célèbre d'entre eux, le Heidsieck Monopole 1907 , dit ‘Goût Américain’, retrouvé à l'intérieur de l'épave du Titanic.
Si l'on n'a pas encore expliqué ce phénomène de manière scientifique, on sait que les effets d'un long séjour dans l'eau peuvent être bénéfiques.
Plusieurs projets de caves sous-marines ont donc été tentés. Citons le cas de Jean-Louis Saget, viticulteur à Pouilly-sur-Loire, qui fait séjourner son Pouilly-Fumé par 25m de fond au large de l'Ile de Noirmoutier, et ce depuis 1995.
Ou encore l'idée originale de Franck Labeyrie, jeune viticulteur bordelais, qui immergea 8000 bouteilles de Côtes de Bordeaux selon la technique utilisée par les ostréiculteurs du bassin d'Arcachon. Recouvertes d'une multitude de petits coquillages après 6 mois, ces bouteilles ne seront pas vendues en cartons, mais dans des bourriches d'huîtres.
Christophe m'a confié avoir toujours été fasciné par cette capacité de conservation du vin en milieu aquatique. Cela lui a donné une idée : tenter une expérience d'immersion de nos millésimes villersois, à l'intention des générations futures.
On le sait, Christophe n'aime rien tant que transmettre, surtout s'agissant de vin. Comme on aime à lire un vieux livre, à porter un bijou ancien, les générations qui nous suivent pourront ainsi boire un peu de notre histoire. « En vin, il n’est de chef d’oeuvre qui ne se pisse » déclarait le journaliste cuisiner Georges Bardawil, démontrant ainsi de façon éclatante sa grande maîtrise du sujet.
L'idée est donc d'immerger chaque année une partie de la récolte, en commençant par ce qu'il nous reste de notre magnifique 2010, aussi du blanc 2013 et le marc récemment embouteillé.
Le hasard a voulu que notre clos dispose d'une eau de source que nous connaissons tous, puisque nous immergeons déjà nos bouteilles en vue de nos apéros lorsqu'il fait chaud. L'eau s'écoule ensuite dans un ancien passage voûté passant sous la vigne, que votre serviteur est allé inspecter à la fin de l'an passé. Les aménagements à prévoir seront minimes : il nous suffira d'y aménager un simple système de sas afin d'y faire monter le niveau de l'eau en quantité suffisante pour recouvrir les précieux flacons. Cette opération s'effectuera en cours d'année, mais n'entravera en rien notre travail viticole, puisque cela se passera sous terre.
Voilà, vous savez désormais pourquoi Christophe à transmis le cep de Rasteau à Olivier plus tôt que prévu, et ce que dissimulait le mystérieux « D'autres projets » le soir du 14 mars 2014.