Dès le mois d'août, les grappes prenant forme attirent les oiseaux, friands de baies naissantes. Qu'ils aillent voir ailleurs! Ce ne sont pas eux, mais nous, qui savons faire le vin! Chaque année, il nous faut disputer le fruit à ces voraces, si nous voulons faire bonne récolte. C'est pourquoi il faut recouvrir les rangées de filets protecteurs, épouvantails des temps modernes.
Pendant la vendange, ces filets étaient toujours là. Ce fut un spectacle réjouissant que celui des vigneronnes et vignerons à l'ouvrage dans les tunnels ainsi créés.
Après la récolte il faut ôter ces filets sans plus attendre. En effet, la végétation se faufile entre les mailles, et complique encore l'opération si on tarde trop.
A Villers la Vigne, on ne badine pas avec la répartition des tâches. Cette journée fut donc celle de Patrick, notre maître ès pose et dépose des filets. Quelques indications prodiguées avec le brio qu'on lui connaît, et nous voilà à l'ouvrage.
Ce fut grande joie que de voir la vingtaine de vignerons présents ce matin là, armés de balais brandis vers le ciel. Devant ce tableau peu commun, un croquant passant par là aurait sans doute cru assister à un quelconque rite initiatique, ou bien une parodie de cérémonie militaire. Certains affirment même avoir aperçu Monique, descendant tout un rang dans cette étrange posture, le regard fixe.
Que nenni! Foin de ces interprétations à l'emporte-pièce, de ces racontars, que d'aucuns se plaisent à colporter. Seuls les vigneronnes et vignerons connaissent le véritable usage de ces ustensiles domestiques bien de chez nous: repousser les filets vers la voûte céleste pour les dégager des tristes réalités de ce bas monde, du piège végétal qui les enserre, et en agrippe les mailles une par une, sournoisement.
Ensuite, chaque filet fut posé à terre, dans toute sa longueur, entre les rangées. Une nouvelle fois, il nous fut donné d'assister à un fort joli spectacle. Tous alignés à intervalle réguliers, voici donc les vigneronnes et vignerons rassemblant les mailles du filet, lui donnant ainsi l'air de sortir tout droit de la Corderie Royale de Rochefort.
Puis, soulevé sur toute sa longueur par une enfilade de mains décidées, il fut acheminé vers un bien modeste réceptacle, pour y être enroulé. Tel la majestueuse tour de l'Ile de Pharos guidant les navires marchands à l'entrée du port d'Alexandrie, Patrick éclairait sa troupe, lui prodiguant tour à tour conseils et encouragements. Ne manquaient plus que les "Ho! Hisse!" et les chants courageux du bon vieux temps de la marine à voile.
Enfin, on entreposa les précieux filets dans un lieu que nous ne divulguerons pas ici. Ils y sommeilleront paisiblement jusqu'à la saison prochaine.
Cette ultime étape marque la fin de la saison viticole. Après nous avoir rétribués de nos efforts de l'année, la vigne va prendre, elle aussi, un repos bien mérité. Rendez vous au printemps prochain, pour de nouvelles aventures…