Il est des jours comme ça, où l’on se sent vigneron belge plus que d’autres…des jours comme ce 19 juin, lendemain de jours qui résonnent dans le passé proche. Au son du fifre ou de la TSF. Plaines de Waterloo ou Radio Londres. Défaite de l’Empereur ou appel du grand Charles.
Les troupes rassemblées étaient plutôt clairsemées ce matin…14 vigneronnes et vignerons avaient entendu l’appel pour se retrouver pour une opération de palissage au beau milieu du champ de moutarde. Il est vrai que le ciel menaçait de toute sa cavalcade de nuages et ses légions de gouttes étrangères les 20 ares de Regent aux boutons floraux de l’inflorescence déjà bien séparés pour des fleurs prometteuses en devenir pour la semaine prochaine.
Tombés au champ donneur …de leçons, les engrais, pesticides et insecticides sont restés sur les étagères des producteurs.
Bienvenue aux bourdons lourdauds, abeilles dorées et fleurs de moutarde délicieusement odorantes.
A l’époque où l’on parle de porte-greffes transgéniques et de Belgique OGM, la biodiversité de Villers-la-Vigne crève l’œil. Le bourdonnement des insectes, la terre légère et aérée par les crucifères, céréales et légumineux en tous genre, le compost en gestation, le ruissèlement de la source toute proche nous rapprochent un peu plus du jardin d’Eden où les Eve en tenue d’Adam se refugieraient à l’ombre des feuilles de vignes naissantes.
Mais lâchez-lui donc la grappe, semble dire le soleil aux nuages nombreux et menaçants qui marie le diable et sa fille ce samedi matin.
Qu’il est beau notre vignoble. Une vague jaune, couleurs fleurs de moutarde, a envahi la plaine à l’image de la nouvelle Belgique. Il y règne comme un parfum de vignoble bio anglais pour les initiés du sud de l’Angleterre.
Bucolique, le travail de palissage ce matin, toutes et tous agréablement caressés à la taille par les fleurs d’un mètre et les abeilles butinantes et à l’oreille par le bourdonnement des bourdons patauds.
En ce début d’été naissant, quand les nouveaux rameaux de vigne poussent de 25 cm par semaine, il est grand temps de pratiquer le palissage qui consiste à attacher aux fils de fer (situés à différentes hauteurs) les rameaux au fur et à mesure de leur croissance, pour éviter qu'ils ne cassent, mais surtout pour éviter l'entassement du feuillage.
L’ébourgeonnage du printemps a fonctionné à merveille. Seuls les bourgeons dirigés vers le haut ont été gardés. Pas de branches rebelles qui cassent sous la courbure, le vent, le poids des grappes futures. Nos rameaux sont tous bien dirigés vers le soleil de midi. Le palissage vertical des rameaux fructifères (qui portent les grappes de raisin) permet un meilleur éclairement des feuilles, donc un bon déroulement de la photosynthèse. De plus, il permet aux rayons du soleil d'atteindre le sol, ce qui favorise la maturation du raisin.
Nos Eve tondent fiévreusement les terrasses, les vignerons s’offrent un coin de paradis sous les nouveaux parasols utilisés comme parapluie, le Regent fait fièrement son apparition et l’unanimité, les trois tables se rapprochent à l’ombre des flacons sous un soleil d’été très furtif. Les autres bouteilles de vins étrangers font bien pâle figure ce midi face à la densité des fruits de notre passion concentrée dans notre crû 2009.
« Regarde ! Ecoute ! Une rose tremble dans la brise. Un rossignol chante un hymne passionné. Un nuage s’est arrêté. Buvons du vin ! Oublions que cette brise effeuillera la rose, emportera le chant du rossignol et ce nuage qui nous donne une ombre si précieuse. » – Omar Khayyâm
La semaine prochaine, juste un p’tit coup de palissage vite fait bien fait car voici venu le temps du barbecue d’été et de ses agapes.
Comme Winston Churchill, l’autre homme du 18 juin, au cœur même de notre petit vignoble, faisons nôtre cette pensée pleine de bons sens :
« Je ne suis pas difficile, je me contente de ce qu’il y a de meilleur »