Vingt degrés à 9h30 du matin. Sur la route pavée qui mène à l’abbaye, l’arrivée dans le bois giboyeux de Villers par Mellery est toujours un grand moment de beauté pour qui sait regarder plus loin que son volant, car après les quelques villages regroupés aux quatre murs de leurs églises dont leurs noms chantants résonnent brabançons et après les champs cultivés aux mille verts et fleurs sauvages, le temps subitement s’arrête de filer et le voyageur à l’écoute fait un bond en arrière de 700 ans.
Le chemin qui mène à la Porte de Namur franchit l’orée du bois de Villers pour s’enfoncer au cœur même de cette forêt tampon qui atténue les stigmates de la civilisation et du progrès depuis des siècles et a permis – pendant près de 650 ans – aux moines de garantir l’isolement et la solitude propices au développement spirituel, exigé par la règle cistercienne. Et pas que les moines ! Foi de vigneron de l’abbaye de Villers.
Ce matin, deux coqs – l’un faisan et l’autre faisant – s’étaient levés de bonne heure pour déjà peaufiner le terroir local avant l’arrivée des premiers vignerons.
Les fleurs en tête de rang pavoisaient de plus belle ce matin et semblaient participer à l’élection de Miss Rose sous la baguette de la grand aquarelliste, Dame Nature et Dame Monique.
Les instructions du Chef de Culture en grande forme ce matin ont résonné comme un slogan publicitaire de 1981 bien connu des tempes grisonnantes et des cheveux blancs:
Aujourd’hui j’enlève le bas !
Les instructions sont claires : désagatage total, épamprage sur 30 centimètres, palissage du vignoble, extraction méticuleuse une par une des adventices sous les rangs de la plaine.
Et voici que les vigneronnes et vignerons se couchent sur l’herbe aux côtés des ceps, s’agenouillent devant la vigne vigoureuse, s’arcboutent devant les cordons simples et s’émerveillent devant les grappes naissantes dont les toutes premières fleurissent déjà.
Midi sonne déjà. Les flacons résonnent, les verres trinquent. Le vin est un lubrifiant social, dirait Eric Boschman.
Michel et Monique nous ont amené un beau sourire d’Argentine aux parfums de Malbec.
Zoltan ne se retient plus. Il décide de jouer un air à la flûte de Pan aux senteurs péruviennes.
Puis vers quatorze heures et vingt quatre degrés plus tard, le vignoble se rendort dans toute sa beauté paisible, chère à chacune et chacun.