Cinq mars. Moins trois degrés ce matin au thermomètre brabançon ! Les terres limoneuses sont recouvertes de ce fin givre blanc ressemblant à la couleur du ciel ces dernières semaines. Et pourtant, ce matin, grand bleu au-dessus de Villers et de notre Belgique bien malmenée pour l’instant.
Cette éclaircie à perte de vue dans le ciel villersois serait-elle de bonne augure pour la suite des négociations communautaires.
En tous cas, c’est sûr…la couleur de l’alliance à dégager tous ensemble sera plus arc en ciel que celle du ciel ce matin. Le soleil froid et lumineux inonde et chauffe déjà de ses rayons le moindre corps noir et les premiers arrivés au vignoble essayent déjà tant bien que mal de se réchauffer les extrémités. Le maître des sols avait décidé d’attendre les derniers retardataires pour commencer son cours de taille.
C’est que la théorie n’est pas simple ce matin et les regards incrédules sont nombreux. Mais heureusement, il y a parmi nous plus d’un vigneron expérimenté qui pourra guider les nouveaux venus au fil du câble de palissage et des pieds de Regent repris dans le chiendent en cette période hivernale.
Et les nouveaux venus sont bien nombreux ce matin : le futur vignoble de Baisy-Thy est là avec toute la famille et le vignoble filleul de Genval est venu apprendre la taille en force. Quelques nouvelles têtes …aussi, nouveaux membres découvrant la chaleur du groupe sous des températures hivernales. C’est qu’il fait bon se réchauffer au brasero de l’amitié.
Ici encore, et une fois de plus, la vitrine de l’abbaye qu’est le clos de Villers-la-Vigne joue son rôle et sa mission en plein. Véritable terreau de viticulteurs en herbe, véritable labo de processus viti- et vinicole, véritable sérail de l’amitié, condensé de démocratie et de neutralité, le petit vignoble du jardin de l’abbé regroupe tous ceux qui de près ou de loin ont envie de vivre une expérience riche en ce cadre magique des ruines de Villers-la-Ville.
Neuf heures trente et le cours peut commencer comme dirait Hugolin dans ‘Manon des Sources ».
Nous suivons les précieux conseils de Jean-Marie Balland, l’homme du séminaire de Villers, adapté à Villers par notre chef de culture.
Les objectifs de la taille sont multiples : – Aération de la charpente. Pas de confinement donc pas de maladies. – Surface foliaire ensoleillement suffisante pour « nourrir » la plante et lui permettre de faire des réserves. – Ensoleillement sur les grappes
La vigne est un végétal naturellement à croissance continue, apparenté aux lianes. En l'absence de taille, elle se ramifie et s'allonge, formant des buissons, rampant sur le sol ou montant aux arbres en s'accrochant avec ses vrilles. La production de bois prime alors sur la fructification qui devient irrégulière, faible, et de qualité très médiocre.
La taille a donc pour but de limiter le nombre de bourgeons afin d'adapter la production de chaque souche à sa vigueur. Elle permet aussi de limiter l'allongement des rameaux afin de ralentir le vieillissement de la souche, et de maintenir son système végétatif dans un volume raisonnable.
Seuls les bourgeons situés sur les rameaux de l'année précédente sont normalement aptes à fructifier. C'est leur nombre, laissé à la taille, qui déterminera la production de l'année à venir.
Il faut veiller à ce que ce nombre (appelé la charge du pied) soit en relation avec la vigueur du cep : un nombre de bourgeons trop important sur une souche par rapport à sa vigueur donnera beaucoup de petits raisins et des rameaux grêles et peu développés. A contrario, un nombre trop faible de bourgeons donnera des rameaux très vigoureux dont l'activité nuira au développement des grappes.
Tout est affaire d'équilibre.
La méthode utilisée cette année à Villers-la-Vigne est celle expliquée lors du séminaire : une taille bâtarde, à la fois Cordon de Royat et Guyot ! Elle comprend un premier courson au début du coude sur le câble taillé à 1 œil, deux coursons taillés à deux yeux espacés de 20 à 25 cm sur un vieux bois ( Taille en Cordon de Royat), et une mini allonge à l'extrémité de la charpente à 3 yeux vers le haut (Taille Guyot).
Elle est particulièrement économique en temps, facilite une bonne répartition de la charge et de la surface foliaire. Cela nous fait 8 yeux portant bientôt 2 grappes chacun, soit 16 grappes théoriques…par pied correctement taillé.
Comme nous avons environ 550 pieds de Regent et 100 pieds de Phoenix, nous pourrions avoir 1200 kg de raisins, soit 700 litres…soit 900 flacons…un jour…mon prince viendra…
Il est midi et tous les sarments coupés sont bien rangés pour la raclette du 3 avril. Le froid engourdit les doigts, les pieds et les langues.
Il est grand temps de se réchauffer aux couleurs de notre Phoenix 2010, par grosses lapées. Les 11 degrés d’alcool contrastent bien fort avec les moins deux degrés de l’air mais le nez floral du vin a bien fait de rougir nos joues et lubrifier nos langues et palais tel Ala-vin et sa lampe merveilleuse. Telle Shéhérazade, fille aînée du grand vizir, parlons de notre vin encore et encore, en une histoire palpitante au sultan de Villers-la-Vigne sans la terminer. Nous aurons ainsi la vie sauve pour une journée de plus et boire encore avec modération, cela s’entend, à la santé des amis qui nous entourent.
A quoi réfléchis-tu, mon ami ? Tu penses à tes ancêtres ? Ils sont poussière dans la poussière. Tu penses à leurs mérites ? Regarde-moi sourire. Prends cette urne et buvons, en écoutant sans inquiétude le grand silence de l’univers Omar Khayyâm
Et dire que demain, on met 100 litres de Phoenix, Bianca et Sirius en bouteille !