Hé, oui, déjà! Certes nous ne sommes qu'à la mi-février. D'ordinaire, c'est plutôt début mars que la saison reprend son cours. Mais notre vigne nous a tant donné la saison passée qu'elle a besoin d'être cajolée avant de se lancer dans de nouvelles aventures.
Jean-Jacques nous explique tout cela en des termes très savants et chacun boit ses paroles comme un verre de Villers-la-Vigne. Moi, je n'ai rien compris: juste quelques mots simples, à ma portée car évoquant, à l'instar de Marcel Proust chez sa Tante Léonie, les images et senteurs qui ont bercé ma lointaine jeunesse: brouette, épandage, fumier de vache, purin,… où est-tu donc, ô mon enfance…
Six brouettes sont là, dans les startings-blocks. Il n'est qu'à en mélanger le contenu et le véhiculer jusqu'entre nos rangs. Nous voilà épandant à la main en un geste qui n'est pas sans évoquer une semeuse célèbre, à moi si chère. Geste que Zoltan tente de reproduire tant bien que mal tandis que, d'un mouvement ample de la main, j'en projette généreusement autour de moi pour le plus grand plaisir de mes deux consoeurs les plus proches.
Les purins à présent: prêle, tanaisie, consoude, ortie, toute la fine fleur de la décoction était là, prête à fertiliser nos cépages. Les plus enthousiastes d'entre nous, munis d'arrosoirs, s'égaillent dans la vigne et aspergent nos rangs de cette mixture aux avantages avérés. On en surprit même en train de puriner entre deux pieds de vigne, loin des regards indiscrets mais pourtant débusqués par mon objectif sans pitié.
Onze heures dix: on a fini! Voilà qui prolongera la durée de notre traditionnel apéro. Et ça tombe bien: c'est le premier de la saison et il y a de quoi boire. Tandis que je humais les arômes de notre rosé, mélés en un curieux assemblage à ceux des purins évoqués plus haut, notre président brandit un étrange flacon d'un alcool venu de chez nos amis d'Outre-Rhin. "C'est un tord-boyaux!" fit-il. Nous voilà fixés. Il parait que là bas, on boit ça dans les vignes lorsqu'il fait froid et que ça vous remet sur pied les vignerons les plus chétifs, si tant est que cela existe. Fort heureusement, j'avais prévu de me vêtir chaudement pour pallier d'autres risques et je réussis à m'éclipser juste à temps pour y échapper.
Ah, j'oubliais: voici une bouteille de notre marc qui, croyez-moi, vaut le détour. Une fois n'est pas coutume: on peut s'en procurer à la boutique de l'abbaye. Mais ne tardez pas: il n'y en a que deux-cents bouteilles.
Et puis notre saison proprement dite commencera dans quinze jours par notre traditionnelle séance de taille. Ne manquez cela sous aucun prétexte!
Philippe Seul dans le domaine végétal, le vin permet à l'homme de comprendre la véritable saveur de la terre. Colette