Si mon carrosse voulait bien rouler, ou les tribulations de votre serviteur s'en allant au vignoble
Au début, tout allait bien. Comme dans un souffle, ma fidèle monture semblait glisser sur l'asphalte rénové de frais. Pas la moindre aspérité, nid de poule ou casse-vitesse, pour venir troubler cette belle harmonie si joliment soulignée par la musique répandue dans l'habitacle.
Et puis, un son. D'abord à peine perceptible, il s'amplifie graduellement. Tiens, j'avais oublié cet accompagnement sur la douce mélodie que je connais pourtant bien. Le 1492 de Vangelis prend une dimension jusqu'alors inconnue, agrémenté par ce clac! clac! lancinant, comme si la Santa Maria de Christophe Colomb était désormais propulsée par une quelconque force mécanique. L'ennui c'est que, une fois tourné le bouton du volume pour couper le sifflet au grand compositeur (me le pardonnera-t-il?), le bel accompagnement persiste, et ne consent à s'estomper que si je lève le pied de l'accélérateur.
Angoisse. Christophe Colomb croyait voguer vers les Indes. Ma destination est moins ambitieuse, mais y parviendrai-je ? Progressivement, mon bolide s'essouffle comme un cheval fourbu. Voici enfin le Bois d'Hez et la grand descente qui mène à l'abbaye. Je le sens bien, on ne la remontera pas comme escompté. Les clac! clac! font désormais lever les têtes des passants dans la rue. Je tente d'afficher l'air stoïque de ceux qui en ont vu d'autres et maîtrisent les situations les plus désespérées.
La petite porte de notre clos est là, rassurante. Non content d'être le meilleur psychologue du monde, notre petit havre est aussi, je le sais, un creuset de compétences diversifiées qui nous ont déjà tiré d'affaire à maintes reprises.
Une poignée de vignerons s'y trouve déjà. Salutations d'usage. « Y'a quelqu'un qui s'y connaît en mécanique ? – Ben…. »
Bon, ben… manque de pot. Je sors mon gsm, balise de détresse des temps modernes, et hèle le service d'assistance aux vignerons en perdition. « Ok, on arrive » fait une voix qui exhale des senteurs de pâté de campagne.
Pour mon grand retour au vignoble, j'avais rêvé d'une entrée réussie : elle a été majestueuse.
André manipule la griffe avec une agilité étonnante. J'entends vaguement Jean-Jacques parler de nettoyage et d'épamprage, Zoltan de rallonge de fil électrique pour brancher le broyeur de végétaux. Les scrotch ! scrotch ! de la machine me distraient un temps de mes préoccupations. Me voilà la nourrissant de quelques branchages trop longs, les recoupant au sécateur, tandis que Zoltan y enfourne de pleines brassées de sarments qu'elle dévore de bel appétit.
L'endroit vibre de ses activités familières. André, notre vice-président, apparaît au fond du vignoble, suivi d'un groupe de visiteurs subjugués par son érudition et la magie du lieu qu'il découvrent. Nous posons sur la petite troupe un regard bienveillant. Voici Nicola, la mine épanouie, requinqué par un récent séjour dans les Abruzzes déjà évoqué dans ces pages. Pendant ce temps-là, Monique surveille scrupuleusement l'amoncellement du broyat que l'on apporte au compost. Tiens ! Voici Christophe, entouré d'un groupe de ses connaissances venu découvrir la plaine et des terrasses.
Mon gsm vibre au fond de ma poche. Un homme vêtu d'une combinaison jaune m'attend près d'un camion VAB. « Ce n'est pas souvent que vous dépannez quelqu'un près d'un vignoble ? – Ben… faut reconnaître…. » Encore un qui ignorait l'existence de notre petit clos. Une petite visite éclair pour pallier cela. On ne s'attarde pas. Me voilà emmené à bord d'un carrosse inattendu. Par la fenêtre j'aperçois Christophe qui me fait un signe amical. Sa main n'agite pas un mouchoir en guise d'adieu: c'est plutôt bon signe, non?
Si ma présence ne fut que physique et pour le moins furtive, rassurez-vous mes amis : je vous reviendrai bientôt, frais comme une rose et motorisé comme il se doit. Foi de vigneron de Villers-la-Vigne !